La gestion des changements est l’un des défis actuels des organisations : se réinventer, faire face à la perte de client, intégrer le télétravail, réaliser des réunions ou rencontres online, utiliser de nouveaux programmes, préparer le déconfinement, … Bref, notre contexte et notre relation au travail a été chamboulé. Autrement dit, nous « traversons une crise » !
L’être humain se différencie des autres espèces de notre planète, entre autres, grâce à sa créativité lui ayant permis de faire face à certaines problématiques rencontrées.
Et c’est ce que beaucoup d’organisations ont réalisé au jour le jour en trouvant des solutions. Elles ont fait face et réagi à un besoin présent le plus rapidement possible avec les moyens mis à leur disposition.
Toutefois, l’être humain n’est pas conçu pour être maintenu longtemps dans un état de stress et d’adaptabilité permanente. Les études le prouvent et nous en connaissons déjà quelques finalités : perte de repères, burn out, dépression, suicide, …
Dans ce contexte de crise vécue au quotidien, nous parlons maintenant de l’après-crise, du futur, du déconfinement. C’est donc une phase de transition qu’il va falloir gérer. Dès lors, « En tant que responsable, manager, directeur, … Comment préparer cette phase de transition dans mon organisation ? » C’est sur cette question que nous allons discuter dans cet article.
Dans un premier temps, par « Crise », j’entends ce moment de bascule qui nous fait passer d’un état antérieur à un état postérieur. On est donc en pleine phase de rupture (voir article sur les phases du changement), ce moment de crise où l’on sait que la vie d’avant ne sera pas exactement la même que la vie d’après.
Or, actuellement, la crise est longue et peu encore durer. La vie d’après ne peut donc s’installer tout de suite en un claquement de doigts.
Dans un ordre très résumé, nous avons donc eu, notre vie d’avant, une chauffe-souris/pangolin, un quotidien chamboulé qui perdure, et maintenant on nous parle d’une phase de déconfinement pour un futur incertain. Comme les conquistadors forcés de prendre le large, nous partons à la conquête de l’inconnu.
Quels sont les éléments auxquels nous devons faire attention pour préparer le déconfinement ?
Le processus de déconfinement risque de ne pas être aussi facile à vivre et à réaliser qu’on ne le pense. Tout dépend, en effet, de l’environnement, de la personnalité de votre personnel.
- Le travail n’a pas la même fonction pour chaque membre du personnel : pour certains il a une fonction identitaire, pour d’autres une fonction économique, une fonction d’intégration sociale ou encore une fonction d’utilité. Les émotions, la motivation et les attentes présentes derrière chaque fonction sont différentes. Le « retour au travail », n’est donc pas attendu ou vécu de la même manière.
- De même, chacun-e, selon sa position dans la chaîne d’activité de l’organisation, n’appréhende pas de la même manière le travail à réaliser sans trop s’éloigner du travail demandé. En effet, de par la situation actuelle, il y a un décalage entre ce qui est possible de faire avec les moyens disponibles, et les demandes réalisées par le supérieur ou la direction, les directives législatives, les consignes gouvernementales,…. Le tout dans un contexte où la communication et l’information ont été dégradés, suspendus voir arrêtés pour certains.
- Ensuite, certains membres du personnel ont peut-être été infectés par le Covid-19 : malades légers ou peut-être graves avec une hospitalisation et mise en quarantaine, amenant ainsi du sentiment impuissance, de stress, d’angoisse, d’anxiété, mais aussi la peur de mourir, de la confusion, de la colère, de la remise en question sur la vie et le sens de celle-ci, de la dépression, de la remise en question des croyances,… Bref une détresse psychologique élevée et pour certains des symptômes de stress post-traumatique.
- D’autres subissent peut-être du racisme, du harcèlement lié au télétravail, de la sur flexibilité, … qui s’est installé envers certains membres du personnel
- Ou encore, chachun-e perçoit cette crise comme une aubaine, une opportunité, un moment de repos forcé, une catastrophe financière, un ennui, …
- Mais aussi, en fonction de sa position dans la chaîne d’activité de votre organisation, chacun-e a modifié sa façon de faire, d’agir et de réagir au jour le jour. Le rapport au temps et le bon sens des décisions ne se conjuguent pas au même moment. Pour certains, ce qui était impensable hier et aujourd’hui présent dans l’organisation, de mauvaises décisions ont été prises trop vite, de bonnes trop lentement, de bonnes rapidement, …. Le processus de décision et d’implication est donc fragilisé parfois détérioré.
- ….
Au-delà de ces aspects, l’environnement physique, social, économique, familial…. Est une composante dont il faut tenir compte :
- Entre autres, chaque personne n’aura pas été confinée de la même manière : avec enfant ou sans, avec personne vulnérable ou non, dans une maison avec jardin ou un appartement sans terrasse, avec magasins à proximité ou pas, avec télétravail ou non, …
- D’autres ont peut-être perdu un proche et se retrouvent engagés dans un processus de deuil, affaiblis par la situation actuelle ne permettant pas de respecter les dernières volontés du défunt. la phase de deuil à elle-même est constituée de plusieurs étapes, et plusieurs émotions correspondant à chacune de celles-ci.
- Certains se sont peut-être retrouvés complétement isolés, physiquement et socialement, d’autres ont peut-être gardé un tissu social. Dans tous les cas, la solitude s’est installée et on le sait, elle est désastreuse pour la santé mentale. La relation entre collègues, hiérarchie et/ou institution a affaiblit le sentiment d’appartenance et d’engagement dans le travail.
- …
Les conditions de vie, confort et sécurité peuvent paraître dérisoires, toutefois celles-ci ne sont pas à exclure dans la phase de déconfinement pour un retour au travail. On le voit par ces différents exemples, le côté émotionnel est fortement présent. Les organisations ne peuvent pas isoler cet élément de la phase de déconfinement en rêvant d’un retour dans une productivité similaire d’avant crise.
Si je compare ce contexte, à la pyramide de Maslow, les 3 premiers besoins essentiels à la vie de tout être humain ont été bousculés :
- Besoins physiologiques : par la perte de revenu pour certains
- Besoins de sécurité et donc de confort : simplement par l’apparition d’un environnement cloisonné et de la santé déstabilisée.
- Besoins d’appartenance : par la fragilisation du tissu social et de sa place dans la société globale.

Dans ce contexte, doit-on tous repenser ou continuer comme avant ?
Pour répondre à cette question, il est important d’agir avant le retour effectif du personnel sur son lieu de travail par des points de vigilance et actions de prévention. Ces derniers permettent une réduction du risque d’incapacité de travail survenant à la reprise, mais aussi une réduction de l’incapacité de travail à moyen terme pouvant survenir dans l’activité professionnelle.
Dans les deux cas, un PLAN DE REPRISE de l’activité sera un élément central pour l’organisation, mais aussi un levier pour anticiper des risques organisationnels et psychosociaux.
Un plan de reprise permet de poser les critères objectifs de reprise de l’activité en sécurisant l’organisation par des décisions objectives mais aussi en sécurisant le personnel d’un point de vue de la santé et de la visibilité du travail à réaliser à court, moyen et long terme.
Sur quels points poser le diagnostic ?
La première phase du plan de reprise est de donc « poser le diagnostic actuel » et ce, de multiples manières : économique, matérielle, organisationnelle et humaine.
Pour ce faire, l’une des premières actions préventives est de reconstruire le lien social et la cohésion d’équipe dans une dynamique collective. De fait, le travail est rarement la résultante d’une seule personne. Recréer le lien entre collègues permet de reconstruire le besoin d’appartenance de votre personnel. Remettre l’humain au centre de l’organisation en recréant les dialogues, permet de répondre à la demande psychologique engendrée par le contexte :
- Réaliser des rencontres online informelles pour rassembler les équipes sur les points communs de leur vécu et ressentis de cette situation. Rassembler les points communs nous permettra d’une part de connaître l’état d’esprit du personnel, mais aussi de créer des sous-groupes pour poser des actions collectives et rassurer le vécu de chacun.
- Rediriger le personnel ayant subi une perte ou une maladie vers la cellule psycho-sociale de votre organisation, ou vers les instances extérieures : médecine du travail, Le service public fédéral psychologue, … Le service RH et les managers ont un rôle d’accompagnateur d’équipe. L’identification de ces personnes peut faire l’objet d’une communication individuelle transmise à l’ensemble du personnel toutes fonctions confondues.
- De même, mobiliser vos équipes dans la recherche de solutions permet une meilleure cohésion.
Par la suite, étudier l’effet de la crise sur tous les aspects organisationnels (missions et services de supports aux missions) permet de prendre conscience, entre autres, du retard accumulé, des activités et évènements annulés, de la situation RH de l’organisations (congés, le personnel vulnérable ou ayant besoin d’une garde d’enfants) mais aussi de l’organisation actuellement mise en place avec ses effets positifs et négatifs. Ceci permet de mieux prépare la deuxième phase.
Pour réaliser cet état des lieux, la mobilisation de l’équipe permet une vue plus large et systémique de la situation. Je spécifie que cela ne veut pas dire que tous les points seront traités en même temps et directement. Une vue à 360 degré permet l’émergence d’une vue globale de la situation.
On parle également des points positifs mis en place et vécus, des ressources de l’organisation (personnel et matériel) actuelles, … rien ne sert de s’attarder sur les ressources passées et perdues, la nostalgie retardera votre plan de reprise.
Une fois les cartes en main, la recherche de solutions peut être entamée.
Dans la dimension de dynamique collective, l’outil de « l’auto-évaluation » en intelligence collective peut vous accompagner. Ce dernier, permet de poser dans sa première étape, de poser le contexte actuel vécu individuellement par chacun. Les autres étapes, permettront de compléter la suite du plan de reprise (voir fiche : auto-évaluation). Les outils suivants peuvent également être utilisés : le protocole café, le brainstorming ou la méthode Creative Problem Solving.
Lors de la recherche de toutes les solutions possibles et imaginables, il est préférable d’ouvrir le questionnement sur « comment pouvons-nous faire ? » plutôt que sur « pourquoi ça ne fonctionne pas ? ». Le premier questionnement est proactif dans le développement de pensée. D’où, pour cette étape, l’importance de l’accompagnement, de la facilitation, de la formation et la compétence des managers et du service RH de l’organisation (en fonction de la taille de cette dernière).
Mobiliser vos équipes dans la recherche de solutions permet une meilleure cohésion et un renfort du sentiment d’appartenance. Les moyens technologiques (appels visio individuels, appels Visio de groupes de parole) est vecteur d’interaction sociale permettant au personnel de se projeter dans le retour au sein de l’organisation. De plus, la mobilisation de toutes les ressources humaines permet d’amplifier l’adhésion au changement et donc le recul de la résistance à ce dernier, de renforcer la confiance en soi et d’écoute envers le personnel, et aussi le développement des connaissances de ce dernier.
Avant de passer à la seconde étape du plan de reprise, le diagnostic doit être connu par tout un chacun de l’organisation permettant ainsi d’éviter la division du personnel (personne ayant continué à travailler et celles ayant été en chômage économique, mais aussi la division des fonctions ouvriers / employés, ceux de terrain / bureaux). L’appartenance et le soutien à une collectivité sont ainsi renforcés par la prise de connaissance du diagnostic.
Nous avons en effet, un « nouveau réel » à partager. Sans diagnostic, nous partons directement dans une planification faussée par une approche linéaire et non systémique. Il y aura nécessairement un avant et un après covid-19. L’approche linéaire apportera un décalage entre l’organisation et l’ensemble de la société belge.
Pour répondre à la question repenser ou continuer, nous pouvons continuer comme avant en repensant les processus internes et les fonctionnements organisationnelles, comme nous pouvons repenser et créer de nouvelles opportunités. Pour ma part, même si le choix appartient à chacun, par ma propre histoire d’ancienne Responsable des Ressources Humaines et de Project manager, je ne peux pas concevoir de continuer comme avant.
Structurer la reprise de l’activité
Penser cette reprise d’activité est une opportunité managériale. Elle permet de se retrouver avec son équipe, de la remobiliser sur des visions, des perspectives, sur du concret, sur des enjeux et des objectifs communs.
Même si de grandes incertitudes demeurent, c’est aussi le moment pour être inventif et tenter des organisations ou des activités nouvelles.
Que vous repensiez ou continuiez sur la même voix, la structuration, deuxième phase de votre plan de reprise, devra se réfléchir en tenant compte des enjeux suivants :
- Définir ce qui est urgent et important selon vous, l’équipe ou la hiérarchie. La priorité sera donnée à ces activités de la première matrice de Eisenhower. Pour épurer d’avantage ces activités, rappelons-nous que l’urgence est pondérée par les obligations législatives, le risque encouru, mais aussi le(s) besoin(s) de l’organisation.
- Les contraintes internes à l’organisation, mais aussi externes : sanitaires, les consignes fédérales, les indisponibilités du personnel (malades, endeuillés ou en garde d’enfants).
- Les ressources dont l’organisation dispose : le personnel mobilisable, les équipements disponibles, les partenaires, … (déjà établis grâce aux diagnostics)
- Les besoins pour la reprise. Cet enjeu est souvent défini par le directeur-trice général ou l’assemblée générale ; et transmise aux services concernés. Par exemple, la réalisation d’un protocole d’accueil de de sécurité pour le personnel qui sera réalisé avec l’appui du service RH, le besoin de nettoyer en profondeur les équipements pour respecter la sécurité au travail qui sera réalisé par une entreprise extérieur ou le service de maintenance en interne, … )
De cette structuration, en fonction des services et missions, certains choix seront privilégiés, au détriment d’autres. En tant que manager d’une mission non prioritaire, la frustration ressentie n’est pas un rejet des idées et solutions apportées mais simplement une priorisation de la situation. C’est pourquoi dans cette étape de structuration et de décision, la direction générale doit accompagner celle-ci par un discours et des actes qui rappellent le commun, l’essentiel et ce qui rassemblent le personnel.
Après avoir diagnostiqué et structuré la reprise, il faudra alors « accompagner la reprise », 3ème phase.
Y-a-t'il des points d'attention lors de l’accompagnement?
Être concis et structuré !
Pour les manager, responsable d’équipe ou dirigeants, il est important d’accompagner au quotidien le personnel, en mettant des celles d’écoute et de soutien en place dans votre organisation, ou encore une réunion rencontre hebdomadaire, un groupe watsapp, … et toutes autres solutions proposées par les membres du personnel.
Si la solitude et le manque de clarté dans cet accompagnement se ressent, il existe des facilitateurs en dynamique de groupe, des facilitateurs en changement, des coachs des consultants, … la curiosité, le benchmarking interne mais aussi externe et international sont des outils à utiliser sans modération pour réaliser le « plan de reprise ».
Ma conclusion,
Le positif de cette période est que l’on peut développer de nouvelles compétences, une nouvelle manière de penser et faire le travail, mettre en place une nouvelle organisation, un nouveau style managérial par de petits, moyens ou grands changements.
Cette période est un incroyable accélérateur de changement, et c’est à nous de faire en sorte que celui-ci soit le plus positif, productif et croissant possible car nous en avons l’occasion… dès aujourd’hui.
Et vous ? Vous en concluez quoi ?

Justine Hannon,
Facilit’Actions, Coach et Accompagnatrice en (Re)Construction Professionnelle et entrepreneuriale. « Apprenons à travailler ensemble, pour plus d’efficacité et d’équité »
Outre la connaissance de l’outil, les sources utilisées pour article sont :
- CDG, « Du confinement au Déconfinement: repenser le lien dans une dimension humaine » , CDG, 23/04/2020
- Prise de contact, Eleonore Delannoy, Manager Psychosocial – Federal Public Service Health Food Chain Safety and Environment, 05/05/2020
- Fiche de l’auto-évaluation en équipe, Facilit’Actions, Avril 2020